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Etude scientifique utilisant la Méthode Warnke

Comment venir en aide aux analphabètes fonctionnels

Publié dans la revue scientifique allemande "Bild der Wissenschaft" - 11/2011

En Allemagne, les analphabètes mènent une vie cachée – marquée par la honte, la peur et des prétextes en tout genre. Des chercheurs ont identifié les causes du problème au niveau du cerveau et développé un entraînement qui donne de bons résultats.

par Sabine Löcher-Bolz (traduction française : Nathalie Steinhilber)

NEUROPSYCHOLOGIE

7.5 MILLIONS D’ADULTES parlant l’allemand peuvent certes lire et écrire de courtes phrases, mais ne sont pas capable de comprendre des textes continus– on les appelle des « analphabètes fonctionnels ». C’est ce qui ressort d’une étude d’un groupe de travail rassemblé autour de la chercheuse en pédagogie, Anke Grotlüschen de l’université de Hambourg, publiée au début de l’année 2011. Au cours de cette étude, les scientifiques se sont intéressés à la question du niveau de lecture et d’écriture effectif d’adultes entre 18 et 64 ans. Ils ont ainsi testé 7035 personnes choisies au hasard ainsi qu’un échantillon supplémentaire de 1401 personne situées dans le plus bas niveau de formation. Résultat : 14,5 % ont montré des déficits - dont environ 60 pour cent des hommes et 40 pour cent des femmes.

Les personnes ayant une capacité de lecture et d’écriture insuffisantes rencontrent de gros problèmes : elles ont des difficultés à trouver du travail et n’ont pratiquement aucune vie sociale. Les neuropsychologues de Madgeburg montrent maintenant un moyen de sortir de la misère. Dans un projet s’étalant sur trois ans de 2008 à 2010, ils ont effectué des recherches sur les causes biologiques de l’analphabétisme fonctionnel. Jascha Rüsseler, directeur du projet, tire le bilan suivant : le problème n’est pas dû seulement à des facteurs sociaux tels que des mauvaises influences familiales, une stimulation insuffisante de la lecture et de l’écriture, une présence aléatoire à l’école, un changement fréquent d’école ou un défaut de communication. Une cause essentielle est la connexion neurologique au niveau du cerveau.

COMPARABBLE A CE QUI SE PASSE POUR LES ENFANTS
Rüsseler et son équipe en ont fait le constat : il existe un parallèle clair entre les enfants dyslexiques et les adultes analphabètes fonctionnels. Selon le neuropsychologue, « dans les deux groupes, les capacités fondamentales de perception sont diminuées ». Les enfants dyslexiques rencontrent des difficultés au niveau des stimuli visuels et sonores, qui demandent un traitement rapide calculé en millisecondes. Par exemple, ils peuvent à peine distinguer des sons tels que "ba" et "pa" ou "ga" et "ka". Rüsseler rapporte que de tels déficits ont également été constatés chez les adultes analphabètes fonctionnels. Il poursuit en précisant que l’analphabétisme fonctionnel n’est finalement rien d’autre qu’une dyslexie particulièrement grave qui persiste à l’âge adulte. Comment est-il possible d’en arriver là ? Rüsseler décrit le processus à l’aide du « modèle de vulnérabilité-stress » qui explique également l’apparition de nombreuses psychoses. Il en ressort que deux facteurs doivent coexister pour qu’un trouble mental éclate : d’une part une prédisposition génétique et d’autre part des conditions de vie éprouvantes. En ce qui concerne l’analphabétisme fonctionnel, cela signifie que si les facteurs sociaux ci-dessus nommés se rajoutent à un déficit de la perception, on aboutit à une dyslexie.

RESUME
• l’analphabétisme fonctionnel est une forme extrême de la dyslexie
• les personnes concernées ne distinguent les stimuli visuels et sonores que de manière limitée
• des chercheurs ont développé un programme d’entraînement qui améliore la coordination des deux hémisphères du cerveau

Rüsseler précise également qu’il existe une explication neurobiologique au déficit des fonctions de base de la perception. Dans le système auditif du cerveau, certaines cellules nerveuses prennent une part importante dans le traitement des stimuli sonores : les magno-cellules. Dans le cerveau de l’embryon, elles doivent tout d’abord émigrer vers leur position définitive. Un gène probablement responsable du cheminement de ces magno-cellules a déjà identifié en 2006 par une équipe germano-suédoise autour du généticien spécialiste de l’humain, Johannes Schumacher, de l’université de Bonn. Le chercheur de Madgeburg avance l’hypothèse qu’un matériau génétique défectueux serait à l’origine du déficit. Il empêcherait les personnes concernées de traiter les stimuli sonores de manière suffisamment rapide. Dans un premier temps, un tel défaut du gène a été mis en évidence chez les dyslexiques. Entre-temps et avec différents tests, Rüsseler et son équipe ont montré que les analphabètes fonctionnels présentaient le même déficit - donc probablement aussi le même défaut du gène, en déduisent les chercheurs.

LA LONGUEUR DU SON EST DETERMINANTE

Au cours de l’un de ces tests, les 120 participants devaient distinguer trois sons présentés de manière rapprochée, dont l’un d’entre eux avait une hauteur tonale différente. Les sujets de l’expérience devaient déterminer quel son était concerné. Puis la longueur du son a été de plus en plus raccourcie, jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de faire la différence, ce qui a permis de déterminer une valeur seuil. Résultat : pour que les analphabètes fonctionnels puissent déterminer avec certitude quel son était différent des autres, les sons devaient être environ deux fois plus longs que pour une personne se situant dans la moyenne.

Pour apprendre à écrire, il faut maîtriser la langue - ce qui suppose de pouvoir différencier les sons. Les personnes ayant des problèmes pour entendre, par exemple pour distinguer les sons à l’intérieur d’un mot, ne développent pas de « conscience phonologique » ainsi que l’appellent les chercheurs en lecture. La conséquence en est que ces personnes font des fautes en écrivant des mots et ont une mauvaise capacité de lecture.

Après les tests, les chercheurs ont mis au point en collaboration avec l’Institut de formation de la Basse-Saxe « Bildungswerk der Niedersächsischen Wirtschaft » et la société MediTech de Wedemark un programme constitué de plusieurs modules : entraînement de la perception auditive et visuelle, exercices de lecture et d’écriture, aide pratique comme par exemple pour faire ses courses, remplir des formulaires bancaires ou bien retirer des billets dans des distributeurs ainsi qu’un stage de trois semaines dans une entreprise. Les 23 premiers participants à ce cours ont suivi un programme d’enseignement strict : ils se sont entraînés pendant six mois cinq jours par semaine et plusieurs heures par jour. Des tests de lecture et d’écriture avant et après l’entraînement attestaient des progrès.

Les chercheurs ont apporté une autre pierre à l’édifice avec l’appareil dénommé « Lateraltrainer ». L’appareil active les deux côtés du cerveau et améliore la coordination entre les hémisphères droit et gauche. Rüsseler explique que normalement pour le traitement du langage, c’est l’hémisphère gauche qui domine. A l’inverse, chez les personnes dyslexiques, on ne constate aucune différence. En outre, ils ont des difficultés à associer un son à un graphisme, comme on le fait pour la lecture. C’est là qu’intervient le Lateraltrainer : les participants visualisent un texte sur l’écran de contrôle de l’ordinateur, qu’ils doivent lire à haute voix. En même temps, ils entendent dans leur casque une voix qui parle avec eux et qu’ils entendent à tour de rôle dans une oreille puis dans l’autre. « Cela nécessite une collaboration étroite entre les deux hémisphères du cerveau » explique le neuropsychologue. Son équipe a mis en évidence grâce au procédé de l’I.R.M. fonctionnelle les parties du cerveau qui sont sollicitées : il s’agit entre autres de l’aire de visualisation de la forme des mots dans la région occipitale gauche.

Fréquenter encore une fois les bancs de l’école : les adultes ayant de grandes difficultés pour lire et écrire peuvent trouver de l’aide lors de cours pour analphabètes. Des neuropsychologues de Magdeburg convaincus : leur programme d’apprentissage à l’aide d’un ordinateur peut remédier aux déficits de manière plus efficace.

Au cours de l’enfance, cette région se spécialise dans la reconnaissance rapide et automatique des mots. Après un autre entraînement spécial de lecture avec des paires de mots, des pseudo-mots et des chaînes de syllabes, les chercheurs ont constaté chez les personnes testées une augmentation d’activité dans cette aire de visualisation de la forme des mots (voir scanners du cerveau dans l’image (la reproduction) ci-dessus. Ils en ont conclu que même les adultes peuvent apprendre à reconnaître des mots de manière automatique. Ceci est conforme aux observations de la recherche sur le cerveau, d’après lesquelles le cerveau est par principe modifiable tout au long de la vie.

Résultat de l’entraînement : les prestations en lecture et en orthographe se sont considérablement améliorées au cours des six mois - toutefois pas autant que ce que Rüsseler avait espéré. « Nous avons sous-estimé le fait qu’en plus des difficultés de lecture et d’orthographe, nous participants devaient également faire face à d’autres problèmes, tels que les problèmes psychiques et émotionnels » a déclaré le neuropsychologue de Magdeburg. « Mais nos participants ont tout de même réussi à faire en sept mois un programme d’enseignement de l’école élémentaire qui se déroule habituellement en 18 mois. »

ÉPREUVE DU FEU REUSSIE
De l’avis de Ruisseler, le programme d’entraînement a réussi l’épreuve du feu. D’ici la fin de l’année, un ensemble complet composé d’un appareil d’entraînement, d’un logiciel et de livres sera mis à la disposition des organismes de formation tels que les universités populaires (Volkshochschulen) et centres d’entraînement de l’agence pour l’emploi. Il pourrait également être utilisé par des entreprises souhaitant apporter dans leurs propres locaux une aide à leurs employés présentant des déficits de lecture ou d’écriture.

Précision : le matériel informatique et le logiciel coûtent environ 2000 €. Rüsseler justifie le prix en précisant que son programme est utilisable dans un grand nombre de cours et sur plusieurs années. Son entraînement est nettement plus intense que les programmes d’alphabétisation traditionnels. Jusqu’ici, la thérapie proposée à la plupart des analphabètes fonctionnels consiste en un cours hebdomadaire à l’université populaire. « Cela ne suffit pas », critique Rüsseler. « Les cours sont bons, mais pas assez intensifs ».

Légende images :

Même le cerveau de personnes adultes est encore capable d’apprendre : le scanner montre que chez des analphabètes ayant suivi l’entraînement à la lecture sur ordinateur, les régions du cerveau de l’hémisphère gauche sont plus actives qu’avant l’entraînement (scanners du cerveau en haut)
Après l’entraînement, des mots déclenchent une activation très nette dans l’aire de formation visuelle située à l’arrière de la tête (en bas, tête vue de devant).

Interview :

ELLE N’A ENCORE JAMAIS LU UN LIVRE

GETRUD MATTES (61 ans) est analphabète fonctionnelle. Elle se rend depuis déjà 17 ans dans un cours d’alphabétisation à l’université populaire (Volkshochschulen) de Karlsruhe.

Madame Mattes, quelles sont actuellement vos capacités de lecture et d’écriture ?
Je peux lire et écrire les mots séparément, ainsi que de courtes phrases. Mais je n’y arrive pas avec des textes liés.

Comment cela s’est passé pour vous à l’école ?
J’étais scolarisée dans une école de village. À l’époque, il était fréquent qu’un instituteur s’occupe de plusieurs classes. Pourtant, mon instituteur n’est pas passé à côté de mes difficultés de lecture et d’écriture. Il m’a assise dans un coin de la place et laissée en paix. Il n’y avait pas de cours de soutien. Mes parents ont remarqué seulement lorsque j’ai eu 10 ans que je lisais et écrivais très mal. Ils étaient propriétaires d’une entreprise agricole. Quand je rentrais de l’école, il fallait que j’aille travailler dans les champs avec mes quatre frères et sœurs. Il ne nous restait pas de temps pour faire nos devoirs. J’ai quitté l’école sans diplôme après huit années.

Vous avez finalement travaillé ?
Oui, j’ai eu de la chance et j’ai pu travailler comme aide familiale.

Personne ne s’est rendu compte que vous ne pouviez que très peu lire et écrire ?
Justement je me suis débrouillée, je ne faisais des courses qu’avec mon mari. Lorsqu’il s’agissait d’écrire, je prétextais toujours que j’avais oublié mes lunettes. Je vivais constamment dans la peur que mon handicap soit découvert. Ma situation ne s’est améliorée qu’avec le cours que j’ai suivi à l’université populaire de Karlsruhe. Aujourd’hui je sais mieux lire et écrire et parler ouvertement de mon problème.

SABINE LÖCHER-BOLZ, Journaliste scientifique à Bühl, pensait jusqu’à sa recherche que l’analphabétisme était un problème dans les pays en voie de développement.

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